Marseille - Vieux port 1861

QUAND UNE SARDINE BOUCHAIT LE PORT DE MARSEILLE 📆 19 mai 1780

Le 19 mai 1780, Marseille s’arrĂȘte de respirer. Un navire s’échoue en plein cƓur du chenal d’entrĂ©e du Vieux-Port, paralysant toute la citĂ© phocĂ©enne. Retour sur cet Ă©vĂ©nement rocambolesque qui, grĂące Ă  la verve et Ă  l’imagination sans limite des Marseillais, se transforme en l’une des galĂ©jades les plus savoureuses du patrimoine marseillais.

Un accident idiot

Imaginez la scĂšne : aprĂšs des mois de navigation mouvementĂ©e depuis les Indes, un navire chargĂ© de ramener nos braves prisonniers français, arrive enfin en vue de Marseille. Mais ce n’est pas un retour triomphal, loin de lĂ  ! La frĂ©gate a dĂ©jĂ  tout vĂ©cu : tempĂȘtes furieuses, attaques anglaises, mutineries Ă  peine Ă©vitĂ©es, et mĂȘme la perte tragique de son capitaine, fauchĂ© net par un boulet britannique au large du Portugal aprĂšs une monumentale boulette des anglais. À bord, c’est la dĂ©bĂącle : l’équipage, extĂ©nuĂ©, n’a plus que la force de prier, et le nouveau commandant, un marin d’occasion, tremble comme une feuille Ă  l’idĂ©e de manƓuvrer ce mastodonte dans le port le plus animĂ© de MĂ©diterranĂ©e.

Et lĂ , sous les yeux Ă©bahis de toute la ville, le drame se joue. Le bateau, au lieu de glisser majestueusement dans le Vieux-Port, s’engage de travers dans le chenal. Un coup de vent, un ordre mal compris, et c’est la catastrophe : la coque du navire vient s’enferrer en plein milieu de l’entrĂ©e, bloquant toute circulation. Les pĂȘcheurs s’arrachent les cheveux, les commerçants crient Ă  la ruine, et les matrones du quartier, la main sur le cƓur, jurent que jamais, ĂŽ grand jamais, elles n’ont vu pareille catastrophe depuis la fondation de Massalia ! On raconte que les mouettes elles-mĂȘmes s’envolent, hilares devant tant de maladresses.

La panique gagne Marseille : le port, vĂ©ritable cƓur battant de la ville, se retrouve paralysĂ©. Plus un bateau ne rentre, plus un navire ne sort. Les vivres s’accumulent, les marchandises pourrissent sur les quais, et certains affirment que l’odeur de la catastrophe se sent jusqu’à Aix ! Heureusement, le fameux commandant PlĂ©ville, jambe de bois et poigne de fer, accourt Ă  la rescousse. Mais mĂȘme ce marin hĂ©roĂŻque doit s’y reprendre Ă  plusieurs fois pour dĂ©gager le monstre Ă©chouĂ©. Pendant ce temps, Marseille retient son souffle, et la rumeur enfle : on n’a jamais vu ça, pas mĂȘme dans les pires cauchemars de la citĂ© !

Naissance d’un mythe

Mais comment le nom du navire, « Sartine », se transforme-t-il en la fameuse « sardine » qui bouche le port ? Ici, laissons la parole Ă  l’histoire
 et Ă  l’humour inimitable des Marseillais.

Le Sartine, baptisĂ© en l’honneur d’Antoine de Sartine, ministre de la Marine, n’était dĂ©jĂ  pas un nom qui chantait comme une cigale. Mais Ă  Marseille, on aime les histoires qui font rire, et surtout, on adore les exagĂ©rer. TrĂšs vite, dans les cafĂ©s du port, sur les marchĂ©s et jusque dans les ruelles du Panier, la langue fourche, le nom dĂ©rape : « Sartine » devient « sardine ». Il n’en faut pas plus pour que la lĂ©gende prenne vie ! Les Marseillais s’emparent de l’anecdote, la transforment, la grossissent, et bientĂŽt, on raconte Ă  qui veut l’entendre que c’est une simple sardine, minuscule mais diabolique, qui a rĂ©ussi Ă  boucher le port tout entier.

La galĂ©jade est nĂ©e, portĂ©e par le souffle Ă©pique de la citĂ©. D’un incident maritime, on fait un mythe, et d’un navire Ă©chouĂ©, un poisson fabuleux. Les gĂ©nĂ©rations suivantes s’en amusent, la racontent Ă  l’envi, et la « sardine qui a bouchĂ© le port » devient le symbole de l’exagĂ©ration marseillaise, cette capacitĂ© unique Ă  transformer chaque fait divers en Ă©popĂ©e. Aujourd’hui encore, il suffit d’évoquer la sardine pour voir briller un sourire complice sur les lĂšvres des Marseillais.

Alors, la prochaine fois qu’on vous parlera de la sardine qui a bouchĂ© le port, souvenez-vous : derriĂšre la blague se cache une vraie page d’histoire
 et tout l’esprit de Marseille, plus grand que nature !


Illustrations:
– Le Vieux-Port tel qu’il Ă©tait en 1860 – Photo : Edouard Baldus – Source : Getty’s Open Content Program
– Carte postale immortalisant « la sardine qui a bouchĂ© le port de Marseille »

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