Moulin Rouge

MESDAMES ET MESSIEURS, QUE LA FÊTE COMMENCE ! 📆 6 octobre 1889

Au soir du 6 octobre 1889, Paris vibre d’un frisson nouveau sur la place Blanche, au pied de la butte Montmartre. Des dizaines de lanternes Ă©clairent la façade flamboyante du Moulin Rouge dont les ailes rouges flambent dans la nuit. En ouvrant ce temple de la fĂȘte, Joseph Oller et Charles Zidler inventent un lieu unique oĂč se rencontrent aristocratie, artistes bohĂšmes, bourgeois curieux, ouvriers parisiens et Ă©trangers en mal de sensations fortes.

DĂšs la premiĂšre soirĂ©e, la magie opĂšre : le vaste parquet s’anime, les rires fusent, la musique rĂ©sonne, et tout ce Paris bigarrĂ© se mĂ©lange sans protocole sous les miroirs et les balcons de la salle principale.

La soirée idéale en 1900

Vers 22h, la salle vibre sous les lampions, la piste se remplit de couples joyeux, de danseuses qui dĂ©valent entre les tables, d’artistes prĂȘt·es Ă  repousser les limites du divertissement. La soirĂ©e commence par un bal convivial, chacun s’essaye au quadrille ou Ă  la polka sous l’Ɠil amusĂ© des serveurs.

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Le spectacle prend vite de l’ampleur : la troupe de French Cancan surgit, les froufrous s’envolent, les coups de pied Ă©claboussent la scĂšne et l’énergie retombe Ă  peine que dĂ©jĂ  d’autres artistes s’élancent. Les spectateurs rient, s’interpellent, participent ; le spectacle n’est pas seulement sur scĂšne, il est partout dans la salle, jusque dans le jardin, autour d’un Ă©lĂ©phant gĂ©ant.

L’excentricitĂ© est reine : on croise peintres cĂ©lĂšbres, Ă©crivains, mondains, inconnus venus voir ou ĂȘtre vus. La fĂȘte se veut bulle de libertĂ© oĂč la hiĂ©rarchie sociale s’efface dans l’exubĂ©rance.

Un French Cancan endiablé

Dans le tumulte permanent du Moulin Rouge, c’est le French Cancan qui incarne le tourbillon de libertĂ© et d’insolence du lieu.

Initialement pratiquĂ©e dans les bals populaires parisiens des annĂ©es 1820, cette danse est une forme ludique et dĂ©sordonnĂ©e appelĂ©e le « chahut », pratiquĂ©e d’abord par les hommes comme une improvisation dansĂ©e sur le quadrille, une danse de salon trĂšs codifiĂ©e. Vers 1830, ce sont les femmes qui s’emparent de cette danse subversive, la transformant en un symbole de libertĂ© et d’Ă©mancipation fĂ©minine avec des mouvements plus audacieux.

Mais revenons en 1889. Les danseuses du Moulin Rouge font virevolter leurs jupons Ă  grands coups de pieds, dĂ©voilant en riant leurs bas rayĂ©s et jarretelles, provoquant l’enthousiasme et les exclamations d’un public qui n’a jamais rien vu d’aussi irrĂ©vĂ©rencieux. La musique galopante d’Offenbach stimule les figures spectaculaires – grand Ă©cart, triple battement, « coup de cul » – qui font grimper l’ambiance Ă  son paroxysme.

Le Cancan, Ă  la fois transe collective et dĂ©fi aux bonnes mƓurs, libĂšre et Ă©lectrise l’assemblĂ©e, rendant le Moulin Rouge incontournable dans tout Paris.

La Goulue, reine de la piste

Impossible d’évoquer le Moulin Rouge sans raconter La Goulue, alias Louise Weber, vĂ©ritable incarnation de la fĂȘte et de la libertĂ© fĂ©minine. NĂ©e Ă  Clichy en 1866 dans un milieu modeste, elle s”impose par sa force de caractĂšre et son humour ravageur.

Sur scĂšne, elle saisit l’énergie de la musique Ă  bras-le-corps, virevolte, provoque, s’amuse parfois Ă  boire au passage dans les verres du public — d’oĂč son surnom, « La Goulue ». Elle invente des mouvements inĂ©dits comme le fameux « coup de cul » et, sous les projecteurs, elle rayonne : chaque soir, elle attire l’élite, les tĂȘtes couronnĂ©es – jusqu’au prince de Galles ou au Shah de Perse – tandis que Toulouse-Lautrec la croque dans ses dessins et ses affiches.

Mais la Goulue n’est pas seulement une danseuse, elle est la danse elle-mĂȘme, un pur jaillissement de musicalitĂ©, de passion, et une lĂ©gende de la Belle Époque. MĂȘme aprĂšs ses annĂ©es de gloire, elle conserve un statut d’icĂŽne, marquant le cƓur de Montmartre longtemps encore aprĂšs la fin de sa carriĂšre sur scĂšne. Elle connaĂźtra pourtant une fin difficile, sombrant dans l’oubli et la misĂšre avant sa mort en 1929, mais sa lĂ©gende reste indissociable de l’histoire du Moulin Rouge.

Valentin le Désossé, danseur absolu

Valentin le DĂ©sossĂ©, nĂ© Jules Renaudin en 1843, appartient autant Ă  la lĂ©gende du Moulin Rouge qu’à celle des nuits montmartroises. Fils d’avocat ou de clerc de notaire, Ă©levĂ© dans un milieu bourgeois, il place toute son Ă©nergie nocturne dans la danse. NĂ©gociant en vins prospĂšre le jour, il devient, la nuit, contorsionniste virtuose et cavalier inĂ©galĂ©, Ă©voluant sur scĂšne dans un costume sobre et haut-de-forme lustrĂ©.

SurnommĂ© « le DĂ©sossĂ© » pour la souplesse de son corps filiforme, il compose d’innombrables figures acrobatiques, dansant des milliers de quadrilles, valses et polkas sans jamais demander un sou – la danse est pour lui un art, non un mĂ©tier. Il est le complice parfait de La Goulue, l’Ă©crin Ă©lĂ©gant et malicieux Ă  ses audaces, recevant un triomphe Ă  chaque apparition, et saupoudrant le Cancan de son humour, de sa prĂ©cision et de sa grĂące lĂ©gĂšre.

Chaque soir, il endosse le rĂŽle du « faire-valoir », du clown flegmatique qui sublime la frĂ©nĂ©sie de ses partenaires. Valentin, dont le nom traverse l’affiche de Toulouse-Lautrec, s’éclipse aussi soudainement qu’il est apparu, laissant planer le mystĂšre sur la fin de sa vie.

Le Pétomane, star improbable

Joseph Pujol (1857-1945), alias le PĂ©tomane, incarne Ă  merveille l’esprit dĂ©calĂ© et audacieux du Moulin Rouge entre 1890 et 1894. MaĂźtre inĂ©galĂ© de la contraction abdominale, il fascine la sociĂ©tĂ© du Tout-Paris et le gratin europĂ©en par ses concerts de flatulences contrĂŽlĂ©es.

Sur scĂšne, il sublime l’art du pet en jouant des airs populaires (« Au clair de la lune », « La Marseillaise »), en soufflant des bougies Ă  distance ou en imitant des cris d’animaux, provoquant Ă  chaque reprĂ©sentation Ă©clats de rire et ovations. Sa prestation, aussi improbable que burlesque, fait accourir la foule et assure la rĂ©putation du cabaret en tant que terrain d’expĂ©rimentations artistiques.

RĂ©compensĂ© comme la plus grosse star du Paris de la Belle Époque, il montre jusqu’oĂč peuvent aller l’audace, la crĂ©ativité  et l’humour de l’époque. Il quitte la scĂšne en 1894 pour fonder son propre théùtre.

L’ÉlĂ©phant du jardin, l’exotisme en plus

Jusqu’en 1906, date Ă  laquelle il est retirĂ© lors de la rĂ©novation du cabaret, le jardin s’ouvre sur des attractions originales, dont un Ă©lĂ©phant monumental, vestige de l’Exposition universelle de 1889.

Cette sculpture monumentale, installĂ©e dans le jardin du cabaret, invite les visiteurs curieux Ă  pĂ©nĂ©trer son ventre par un escalier en colimaçon. À l’intĂ©rieur, l’intimitĂ© feutrĂ©e de ce « club privĂ© pour hommes » promet toutes les audaces : numĂ©ros exotiques, danses du ventre, petits shows provocants et ambiance orientale s’y succĂšdent pour un franc la visite.

L’élĂ©phant contribue ainsi Ă  la rĂ©putation fantasque et extravagante du Moulin Rouge, offrant un supplĂ©ment de monde imaginaire Ă  la fĂȘte et devenant, un temps, la mascotte inattendue des nuits parisiennes.


Illustration:
– Bal au Moulin Rouge, affiche de Jules ChĂ©ret, 1889. – WikipĂ©dia
– Le Moulin-Rouge en 1900. – WikipĂ©dia
– La Goulue et Valentin le DĂ©sossĂ©, 1895, Henri de Toulouse-Lautrec. – WikipĂ©dia
– Le Moulin-Rouge Ă  Paris en 2014. – WikipĂ©dia

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