Le 23 décembre 1953, dans l’immense et solennelle salle du Congrès à Versailles, un parfum de crise et d’urgence flotte sur les 927 parlementaires épuisés. Après une semaine entière de scrutins infructueux, René Coty, cet avocat normand du Havre né en 1882 et âgé de 71 ans, émerge enfin victorieux au treizième tour avec 477 voix.
Succédant à Vincent Auriol, il devient le deuxième et dernier président de la IVe République, un choix de compromis inattendu qui unit miraculeusement la droite, le centre et même certains modérés de gauche, face à l’impasse politique née des divisions sur la Communauté européenne de défense (CED).

Sommaire
Un rôle symbolique et limité
Sous la IVe République, de 1946 à 1958, le président de la République incarne un pouvoir essentiellement arbitral, cérémoniel et symbolique, bien loin de l’exécutif puissant qui caractérise la Ve aujourd’hui. Élu pour sept ans par les deux chambres du Parlement – l’Assemblée nationale et le Conseil de la République – réunies en Congrès à Versailles, il requiert une majorité des trois quarts des suffrages exprimés lors d’un scrutin secret à la tribune, sans aucune limite de tours fixée par la Constitution.
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Tous ses actes, qu’il s’agisse de proposer un président du Conseil (dont l’investiture dépend ensuite de l’Assemblée), de présider le Conseil des ministres, le Conseil supérieur de la magistrature ou le Comité de défense nationale, doivent impérativement être contresignés par le président du Conseil et les ministres concernés ; il promulgue les lois sans droit de veto et adresse des messages au Parlement, mais ne dispose ni du pouvoir de dissolution des assemblées ni d’un règlement autonome – un rôle modeste de garant de l’union dans un régime parlementaire dominé par l’Assemblée nationale.
Treize tours de chaos politique
Les divisions partisanes, exacerbées par le débat brûlant sur la CED, transforment l’élection en un véritable marathon politique qui dure du 17 au 23 décembre. La gauche, emmenée par le socialiste Marcel-Edmond Naegelen (SFIO), bloque obstinément sur son nom en ralliant les voix communistes après le retrait de Marcel Cachin ; la droite parie sur Joseph Laniel, qui frôle la victoire à 22 voix près au huitième tour mais trébuche sur une controverse de bulletins ; le centre, avec des figures comme Yvon Delbos ou Jean Médecin, multiplie les candidatures éphémères qui dispersent les suffrages.
Huit candidats se succèdent initialement, et ce n’est qu’au douzième tour que René Coty, sénateur du CNIP (Centre national des indépendants et paysans) absent du vote sur la CED pour cause d’opération de la prostate, commence à émerger comme un compromis idéal : modéré, inoffensif et acceptable à tous. Au treizième tour, il rafle 477 voix sur 927, illustrant les marchandages fiévreux en coulisses typiques de la IVe République, où l’absence de mécanisme de dissolution prolonge ces épuisantes négociations jusqu’à l’épuisement général.
Ambiance électrique à Versailles
L’hémicycle de Versailles, avec ses sièges rouges alignés par ordre alphabétique, vibre d’une tension électrique et d’une fatigue collective palpable, alors que les parlementaires, coincés avant les fêtes de Noël, endurent une semaine de scrutins interminables. Pour la première fois, l’événement est retransmis à la télévision, exposant au pays entier ce « cauchemar » politique – jusqu’à ce que le gouvernement ordonne l’interruption pour préserver l’image de la République.
Chaque appel nominal à la tribune amplifie la pression : cris, apartés, négociations frénétiques en coulisses, irritation croissante face à la dispersion des voix et aux échecs répétés. Les élus, à bout de nerfs, subissent un huis clos humiliant qui révèle l’impuissance du régime ; au final, un soulagement immense et des acclamations collectives saluent Coty, l' »invité surprise » dont l’ironie – son absence sur la CED due à sa santé – le rend providentiel, préfigurant les crises plus graves comme celle de 1958.
C’était peut-être mieux avant… ou peut-être pas tant que ça finalement.
Illustration: Désordre parlementaire – Image IA
