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NAISSANCE DANS LE FRACAS D’AL-ANDALUS SUR LES BORDS DU GUADALETE 📆 19 juillet 711

Bataille du Guadalete

Le 19 juillet 711, un souffle nouveau traverse la pĂ©ninsule IbĂ©rique alors que, dans la chaleur du sud andalou, s’approchent deux armĂ©es. Ce jour-lĂ , les Wisigoths de Rodrigue dĂ©couvrent le campement fortifiĂ© de leur adversaire sur une colline surplombant la riviĂšre Guadalete. Les ordres grondent, les armes s’aiguisent, les visages se tendent.

Depuis des jours, l’inquiĂ©tude grandit au sein du camp chrĂ©tien, car les rumeurs rapportent la discipline et la fougue des combattants omeyyades de Tariq ibn Ziyad, fraĂźchement dĂ©barquĂ©s d’Afrique du Nord. Ce 19 juillet, c’est bien plus qu’une bataille ordinaire qui s’engage : c’est le sort du royaume wisigoth, et de toute la pĂ©ninsule, qui se joue. Rodrigue, le dernier roi des Wisigoths, ordonne l’assaut ; la poussiĂšre s’élĂšve, les lances jaillissent. Rien ne sera plus jamais comme avant.

Un royaume wisigoth affaibli

Au dĂ©but du VIIIe siĂšcle, le royaume wisigoth paraĂźt encore puissant, rĂ©gnant sur la pĂ©ninsule IbĂ©rique et jusqu’à la Septimanie, au sud de l’actuelle France. Cependant, cette autoritĂ© n’est qu’une façade : derriĂšre les murs de TolĂšde, la capitale, des luttes sanglantes minent l’unitĂ© du pouvoir. La succession de Rodrigue n’a rien d’apaisĂ© : arrivĂ© au trĂŽne par la force en 710, il doit faire face Ă  des partisans du prĂ©cĂ©dent roi, Witiza, et Ă  une noblesse fragmentĂ©e. Famines et Ă©pidĂ©mies fragilisent la population, tandis que des bandes hostiles profitent du chaos pour fomenter des complots. La sociĂ©tĂ© wisigothe, jadis conquĂ©rante et structurĂ©e, se retrouve Ă  la merci de rivalitĂ©s internes. Ce climat dĂ©lĂ©tĂšre affaiblit la capacitĂ© de rĂ©sistance face Ă  l’invasion venue du sud. L’armĂ©e que rassemble Rodrigue, bien que nombreuse, prĂ©sente des failles : la fidĂ©litĂ© de ses chefs n’est pas assurĂ©e, et, sur le terrain, le commandement central peine Ă  imposer sa discipline face Ă  l’adversitĂ©.

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La déferlante du califat omeyyade

En Afrique du Nord s’élĂšve alors la figure de Tariq ibn Ziyad, commandant berbĂšre passĂ© sous la banniĂšre des Omeyyades de Damas, l’un des plus grands empires du dĂ©but du Moyen Âge. Le califat omeyyade, Ă  cette Ă©poque, domine un immense territoire, couvrant l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, une partie de l’Asie centrale et, dĂ©sormais, s’apprĂȘte Ă  ouvrir un front europĂ©en inĂ©dit. Les ambitions sont grandes : Tariq, avec une armĂ©e initiale de 7 000 Ă  12 000 hommes, essentiellement des BerbĂšres rĂ©cemment convertis Ă  l’islam, dĂ©barque au promontoire qui portera plus tard le nom de Gibraltar (Jabal Tariq). Moussa Ibn NoçaĂŻr, le gouverneur d’Ifriqiya, supervise Ă  distance cette opĂ©ration dĂ©cisive pour le rayonnement musulman en Occident.

Le détroit franchi, Tariq avance rapidement : il tient un discours célÚbre à ses hommes, leur ordonnant de brûler les navires pour les dissuader de fuir et les galvaniser.

Ô gens, oĂč est l’Ă©chappatoire ? La mer est derriĂšre vous, et l’ennemi devant vous, et vous n’avez par Dieu que la sincĂ©ritĂ© et la patience [
]

áčŹariq ibn Ziyad

Sa stratĂ©gie brille par son audace : frapper un coup dĂ©cisif sur une terre destabilisĂ©e par ses propres dissensions. Comptant sur la rapiditĂ© de manƓuvre et le moral Ă©levĂ© de ses troupes, Tariq va imposer une nouvelle dynamique Ă  la conquĂȘte, mettant Ă  l’épreuve la puissance des Wisigoths sur leur propre sol.

Le choc du Guadalete

Le 19 juillet, les regards se croisent de part et d’autre du champ de bataille, oĂč chaque strate de la sociĂ©tĂ© wisigothe vient dĂ©fendre sa survie. Rodrigue initie l’offensive par une attaque de cavalerie d’envergure contre les lignes omeyyades. L’assaut est stoppĂ© net : les dĂ©fenseurs, abritĂ©s derriĂšre leur palissade, ripostent Ă  coups de flĂšches et de lances ; la premiĂšre journĂ©e se termine sans vainqueur. S’ensuivent alors deux jours d’escarmouches et de combats, ponctuĂ©s d’embuscades savamment tendues des deux cĂŽtĂ©s. L’armĂ©e wisigothe, en surnombre, semble tenir le choc, son roi galvanisant ses partisans du haut de son trĂŽne installĂ© au cƓur des troupes.

Pourtant, le sort bascule de maniĂšre brutale : en plein affrontement, des contingents entiers, menĂ©s par la famille de Witiza et d’autres nobles mĂ©contents, trahissent Rodrigue et abandonnent le champ de bataille. Les musulmans exploitent cette faille avec la discipline et la rapiditĂ© qui les caractĂ©risent. L’effondrement de la ligne centralise la panique : la cavalerie berbĂšre s’engouffre dans la brĂšche, les Wisigoths se dispersent dans la dĂ©route, et Rodrigue disparaĂźt dans la mĂȘlĂ©e, probablement tuĂ© sur place. La noblesse qui l’accompagne tombe elle aussi. La victoire omeyyade est totale, l’élite wisigothe anĂ©antie. La route de TolĂšde et du cƓur de la pĂ©ninsule s’ouvre largement aux conquĂ©rants.

Le dĂ©but d’Al-Andalus, une Ăšre nouvelle

PortĂ©e par l’éclat de sa victoire, l’armĂ©e de Tariq ibn Ziyad ne rencontre, dĂšs lors, que peu de rĂ©sistance organisĂ©e. TolĂšde, capitale du royaume, tombe en quelques semaines. Les grandes villes s’inclinent une Ă  une. La prise du pouvoir s’accompagne dans de nombreux cas de l’accueil, parfois favorable, d’une population lassĂ©e des troubles, des persĂ©cutions et des famines qui ont marquĂ© la fin du rĂšgne wisigoth. Ainsi se fonde Al-Andalus, territoire islamique couvrant bientĂŽt toute la pĂ©ninsule ibĂ©rique Ă  l’exception de zones montagneuses comme celles des Asturies ou des PyrĂ©nĂ©es. Ce nouvel espace va, selon les pĂ©riodes, s’étendre au-delĂ  des PyrĂ©nĂ©es vers la Septimanie, avant de se rĂ©duire au fil des siĂšcles de la Reconquista.

Al-Andalus n’est pas qu’un simple territoire conquis : c’est un monde Ă  part entiĂšre. Musulmans, juifs et chrĂ©tiens (qui deviennent des dhimmi, sujets protĂ©gĂ©s moyennant un impĂŽt) y cohabitent dans un tissu urbain renouvelĂ©. Cordoue, bientĂŽt capitale, rayonne par sa mosquĂ©e, ses bibliothĂšques, l’effervescence intellectuelle et scientifique qu’elle attire. Les routes, l’agriculture, les arts et l’architecture connaissent une transformation sans prĂ©cĂ©dent. La sociĂ©tĂ© ibĂ©rique s’ouvre Ă  de nouveaux horizons, Ă©changeant savoirs et techniques avec l’Orient, le Maghreb et le reste de l’Europe.


Illustration: La retraite wisigoth face Ă  la cavalerie berbĂšre, tableau de Salvador MartĂ­nez Cubells. – WikipĂ©dia