Le 26 juin 1936, sur un terrain d’aviation près de Brême, le Focke-Wulf Fw 61 quitte le sol pour la première fois. Ce moment, discret aux yeux du grand public, marque pourtant une révolution silencieuse. Henrich Focke, ingénieur visionnaire, assiste avec émotion à l’aboutissement de plusieurs années de recherches et d’essais.
À cette époque, l’idée même de voler verticalement relève encore du rêve ou de la science-fiction pour beaucoup. Pourtant, ce jour-là , le Fw 61 prouve que l’hélicoptère n’est plus un simple projet théorique : il devient une réalité tangible, capable de s’élever, de flotter et de manœuvrer dans les airs avec une aisance inédite.
Sommaire
La genèse
L’histoire du Fw 61 commence dans l’esprit curieux et inventif d’Henrich Focke. Déjà expérimenté dans la construction d’autogires, il comprend vite les limites de ces appareils, notamment leur incapacité à réaliser le vol stationnaire pur. Il se lance alors dans la conception d’un hélicoptère véritable, capable de décoller et d’atterrir à la verticale, de rester immobile dans le ciel et de se déplacer dans toutes les directions.
Pour résoudre le problème du couple de réaction, il imagine une configuration à deux rotors principaux contrarotatifs, montés de part et d’autre du fuselage. Cette solution technique, audacieuse pour l’époque, permet d’annuler automatiquement les forces de rotation qui déstabilisent les hélicoptères à rotor unique. Le Fw 61, fruit de cette réflexion, se présente comme un appareil léger, maniable et étonnamment stable, doté d’un moteur Bramo de 160 chevaux et d’un fuselage dérivé du Fw 44 Stieglitz.
Comment vole un hélicoptère ?
Le vol d’un hélicoptère repose sur le principe de la voilure tournante : ce sont les pales du rotor principal qui, en tournant rapidement, génèrent la portance nécessaire pour soulever l’appareil. Mais contrairement à un avion, l’hélicoptère doit aussi gérer un phénomène particulier appelé effet de couple. Lorsque le rotor principal tourne dans un sens, il tend à faire tourner le fuselage dans le sens opposé (c’est la réaction de Newton). Sur la plupart des hélicoptères, on installe donc un rotor de queue : il pousse latéralement pour compenser ce couple et empêcher la cabine de tourner sur elle-même.
Le Fw 61, lui, innove avec deux rotors principaux contrarotatifs : chacun tourne dans un sens opposé, annulant ainsi naturellement l’effet de couple. Cette configuration rend l’appareil très stable sans avoir besoin de rotor de queue.
Le pilote dispose de trois commandes essentielles :
- Le pas collectif (généralement commandé à la main gauche) : il modifie l’angle d’incidence de toutes les pales en même temps, ce qui permet de monter ou descendre.
- Le pas cyclique (main droite) : il incline le plan du rotor dans la direction souhaitée, permettant à l’hélicoptère d’avancer, de reculer, ou de se déplacer latéralement.
- Le palonnier (commandé aux pieds) : il contrôle l’orientation de l’appareil autour de son axe vertical (lacet), en agissant sur le rotor de queue ou, dans le cas du Fw 61, sur la différence de puissance entre les deux rotors.
Grâce à cette combinaison de commandes, l’hélicoptère peut décoller et atterrir à la verticale, rester immobile dans les airs, pivoter sur place, et se déplacer dans toutes les directions. Cette polyvalence fait de l’hélicoptère une machine unique dans l’histoire de l’aviation.
Un succès stupéfiant
Rapidement, le Fw 61 dépasse le simple stade du prototype. Dès 1937, il établit plusieurs records mondiaux : il atteint une altitude de 3 427 mètres, parcourt plus de 230 kilomètres sans escale et réalise des démonstrations publiques spectaculaires. La plus célèbre a lieu en 1938, lorsque la pilote d’essai Hanna Reitsch manœuvre l’appareil dans l’immense hall du Deutschlandhalle à Berlin. Le public, médusé, découvre un engin capable de rester suspendu dans l’air, de tourner sur place et de se déplacer dans toutes les directions avec une précision inégalée. Le Fw 61 prouve ainsi que l’hélicoptère n’est pas seulement un rêve d’ingénieur, mais une machine fiable et prometteuse, prête à transformer l’aviation.
Fin de l’aventure
Malgré ses exploits, le Fw 61 ne passe jamais au stade de la production en série. La Luftwaffe, bien que fascinée par les possibilités offertes par l’hélicoptère, préfère orienter Henrich Focke vers des projets plus ambitieux, mieux adaptés aux besoins militaires.
En 1938, il fonde avec Gerd Achgelis la société Focke-Achgelis, dédiée au développement d’hélicoptères de transport lourd, comme le célèbre Fa 223 Drache. Le Fw 61, conçu avant tout comme un démonstrateur technologique, a rempli sa mission : il prouve la viabilité du vol vertical et sert de base à des appareils plus avancés. Seuls deux exemplaires sont construits, mais leur héritage technique inspire toute une génération d’ingénieurs.
L’héritage
Aujourd’hui, la configuration à double rotor contrarotatif reste rare, réservée à des hélicoptères spécialisés comme le Kamov Ka-32 ou le Boeing CH-47 Chinook. La plupart des hélicoptères modernes préfèrent la simplicité du rotor principal unique avec un rotor de queue, moins complexe à entretenir et à piloter.
Pourtant, le Fw 61 demeure dans les mémoires comme le premier hélicoptère pleinement fonctionnel. Il incarne la réussite d’un pari audacieux et la naissance d’une nouvelle ère pour l’aviation. Grâce à la ténacité et à la vision d’Henrich Focke, l’homme découvre une liberté inédite : celle de s’élever à la verticale, de flotter dans les airs, et d’explorer le ciel autrement.
Illustration: Le Focke-Wulf FW 61 sur un timbre de 1979. – Wikipédia