Louis Mandrin en prison

MORT DE LOUIS MANDRIN, LE ROBIN DES BOIS DU DAUPHINÉ 📆 26 mai 1755

Le 26 mai 1755, Louis Mandrin, figure légendaire de la contrebande et de la résistance à l’oppression fiscale sous l’Ancien Régime, meurt roué vif à Valence à l’âge de 30 ans. Son exécution, d’une rare violence, attire une foule considérable et marque la fin d’une aventure hors du commun. Mais loin de faire disparaître son souvenir, sa mort spectaculaire va donner naissance à une légende populaire qui traverse les siècles et incarne, aujourd’hui encore, la lutte contre l’injustice.

Une jeunesse faite d’injustices

Louis Mandrin naît en 1725 à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, dans le Dauphiné, au sein d’une famille bourgeoise de neuf enfants. Dès l’âge de 17 ans, il doit prendre la tête de la famille après la mort de son père, François-Antoine Mandrin, négociant et maquignon. Cette responsabilité précoce le confronte à la gestion d’une entreprise familiale en difficulté, minée par la concurrence et les revers économiques. Le destin de Mandrin bascule lors d’un contrat avec la Ferme générale : il fournit des mulets à l’armée, mais ceux-ci sont réquisitionnés sans compensation, plongeant la famille dans la ruine. La situation s’aggrave encore lorsque son frère Pierre est arrêté et pendu pour faux-monnayage, à la suite d’une dénonciation orchestrée par la Ferme générale. Accusé à tort d’homicide, Louis Mandrin est condamné aux galères, mais parvient à s’enfuir. Traqué, il n’a d’autre choix que de se réfugier dans la clandestinité, où il va forger sa réputation de chef audacieux et déterminé.

La détestation des fermiers généraux

À cette époque, les fermiers généraux incarnent pour la population tout ce que le système fiscal a de plus injuste et oppressif. Ils ne se contentent pas de collecter les impôts pour le roi : ils avancent une somme considérable à l’État, puis se remboursent en prélevant taxes et droits sur le peuple, souvent de manière brutale et abusive afin de maximiser leurs profits. Leur enrichissement personnel, leur arrogance et leur train de vie fastueux contrastent violemment avec la misère des contribuables. Ils imposent des contrôles, multiplient les barrières douanières et n’hésitent pas à user de la force pour faire rentrer l’argent, provoquant colère et ressentiment dans toutes les couches de la société. Véritables symboles de l’injustice et des privilèges de l’Ancien Régime, ils deviennent la cible privilégiée de la haine populaire, et toute opposition à leur encontre, comme celle de Mandrin, suscite l’admiration et la sympathie du peuple.

En guerre contre la Ferme générale

Devenu hors-la-loi, Mandrin ne se contente pas de survivre : il organise une véritable guérilla contre la Ferme générale, institution privée chargée de la collecte des impôts indirects et symbole de l’injustice fiscale de l’époque. Mandrin rassemble autour de lui une bande structurée, parfois composée de plusieurs centaines d’hommes, qu’il dirige avec une discipline quasi militaire. Il met en place un système efficace de contrebande : les marchandises – tabac, étoffes, cotons imprimés – sont achetées en Suisse et en Savoie, puis introduites clandestinement en France. Mandrin ne se cache pas : il vend ses produits au grand jour, sur les places publiques de villes comme Rodez, Le Puy-en-Velay, Beaune ou Bourg-en-Bresse, défiant ouvertement les agents de la Ferme générale. Sa cible est claire : il s’attaque exclusivement à ces collecteurs d’impôts, qu’il force parfois à acheter sa marchandise sous la menace, tout en évitant soigneusement de nuire aux populations locales. Cette stratégie audacieuse et son attitude de « bandit au grand cœur » lui valent l’admiration du peuple, qui voit en lui un justicier prêt à prendre aux riches pour soulager les pauvres, à la manière d’un Robin des bois français.

Une traque sans pitié

Face à l’audace et au succès croissants de Mandrin, la Ferme générale décide de frapper fort. Elle obtient le soutien de l’armée royale et organise une traque d’envergure. Mandrin, dont la tête est mise à prix, finit par être trahi par deux de ses compagnons. Dans la nuit du 10 au 11 mai 1755, il est arrêté au château de Rochefort, en Savoie, lors d’une opération menée clandestinement par des soldats français déguisés en paysans – une violation du territoire savoyard qui provoque un incident diplomatique. Malgré les protestations du duc de Savoie, Mandrin est rapidement transféré à Valence. Son procès est expédié en quelques jours sous la pression des fermiers généraux, soucieux d’éviter toute tentative de sauvetage ou d’intervention extérieure. Le 26 mai 1755, Mandrin est condamné à mort et subit le supplice de la roue : ses membres sont brisés à coups de barre de fer, puis il est exposé vivant sur la place publique devant une foule immense. Son courage face à la souffrance impressionne les témoins, et l’évêque de Valence obtient qu’il soit finalement étranglé pour abréger ses souffrances. Ce supplice atroce, largement relayé par les chansons et les récits populaires, contribue à forger la légende du bandit justicier.

La naissance d’une légende

La mort de Mandrin ne marque pas la fin de son histoire, mais le début d’une légende qui va se propager dans toute la France. Dès son exécution, des chansons comme la célèbre Complainte de Mandrin circulent dans les campagnes et les villes, racontant ses exploits et dénonçant l’injustice des fermiers généraux. Des gravures, des poèmes, des pièces de théâtre et des récits populaires immortalisent son image de héros du peuple, défenseur des opprimés face à l’arbitraire fiscal. Mandrin devient le symbole d’une résistance à l’injustice sociale, un modèle de courage et de générosité qui inspire de nombreuses générations. Sa mémoire est entretenue dans de nombreux lieux de Rhône-Alpes et d’Auvergne, où des grottes, des chemins et des villages portent encore son nom. Aujourd’hui, Louis Mandrin demeure l’un des bandits les plus célèbres et les plus aimés de l’histoire de France, incarnation vivante du rêve d’une justice sociale et d’une révolte contre l’oppression.

Nous étions vingt ou trente,
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc,
À la mode des…
Vous m’entendez ?
Tous habillés de blanc
À la mode des marchands.

La première volerie
Que je fis dans ma vie
C’est d’avoir goupillé,
La bourse d’un…
Vous m’entendez ?
C’est d’avoir goupillé
La bourse d’un curé.

J’entrai dedans sa chambre
Mon Dieu, qu’elle était grande !
J’y trouvai mille écus,
Je mis la main…
Vous m’entendez ?
J’y trouvai mille écus,
Je mis la main dessus.

J’entrai dedans une autre,
Mon Dieu, qu’elle était haute !
De robes et de manteaux
J’en chargeai trois…
Vous m’entendez ?
De robes et de manteaux,
J’en chargeai trois chariots.

Je les portai pour vendre
À la foire en Hollande.
J’ les vendis bon marché,
Ils n’ m’avaient rien…
Vous m’entendez ?
J’ les vendis bon marché,
Ils n’ m’avaient rien coûté.

Ces Messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes,
Et leurs bonnets carrés,
M’eurent bientôt…
Vous m’entendez ?
Et leurs bonnets carrés
M’eurent bientôt jugé.

Ils m’ont jugé à pendre,
Ah ! c’est dur à entendre !
À pendre et étrangler,
Sur la place du…
Vous m’entendez ?
À pendre et étrangler,
Sur la place du Marché.

Monté sur la potence
Je regardai la France,
J’y vis mes compagnons,
À l’ombre d’un…
Vous m’entendez ?
J’y vis mes compagnons,
À l’ombre d’un buisson.

Compagnons de misère,
Allez dire à ma mère,
Qu’elle ne me reverra plus,
Je suis un enfant…
Vous m’entendez ?
Qu’elle ne me reverra plus,
Je suis un enfant perdu !


Illustration: Le portrait de Mandrin tiré d’après nature dans les prisons de Valence. – Wikipédia

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